

Le Chant des sept tours de Laurent Gaudé
« Tous mes textes, je m’en rends compte, sont au fond, écrits pour résonner face à un public. »
Laurent Gaudé
« Quel chant – dans quelle langue – pourra dire la blessure de n’être plus rien ? » Laurent Gaudé répond à cette interrogation par sa poésie, « qui n’oublie pas la vieille valeur sacrée de l’écrit : faire que des vies soient sauvées du néant parce qu’on les aura racontées. » C’est ainsi que Le Chant des sept tours est une offrande aux oubliés, aux engloutis, à ceux qui ne sont rien, victimes anonymes de la cruauté humaine.
Gorgé de force et de colère, ce poème évoque un passé qui semble lointain, celui de la traite négrière. Ce trafic d’êtres humains à l’échelle industrielle joue un rôle fondateur dans les formes d’oppression et d’inhumanité actuelles et, si l’esclavage a été officiellement aboli dans le monde entier, un esclavage moderne subsiste en dépit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Chant des sept tours nous ramène aux racines du mal.
Ce spectacle est une véritable expérience immersive dans laquelle le comédien s’adresse à un « vous » qui, de spectateur, se retrouve bientôt au centre de l’histoire. C’est cette expérience qu’Opéra Théâtre Volubilis a voulu mettre en voix et en musique.
Il ne s’agit pas ici d’un simple monodrame conventionnel, puisque le metteur en scène est présent sur scène pour accompagner le comédien à la guitare, en improvisant sur une trame musicale. Ce dispositif implique une inspiration réciproque et une écoute mutuelle, une démarche proche du jazz, en l’absence de partition figée.
Il permet aussi au metteur en scène de poursuivre son travail de direction d’acteur : par la musique qu’il joue en direct, il expérimente, oriente son comédien jusqu’à le confronter parfois au doute, le poussant à renouveler son interprétation pour la rendre toujours plus vivante, à ajouter aux constantes, au travail déjà accompli, des variantes de jeu. C’est un moyen de continuer à explorer les possibilités du texte sans en figer l’interprétation.
Ce spectacle est labellisé par La Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage
et reçoit le soutien de l’Agence française de développement.
Notes du metteur en scène
« Comment parler de ce qui serait langage ? Hors le vide et sa violence, où habiter ? Comment parler comme ici, sans taire ce qu’il eût fallu dire ? Crier, mais rien qui soit le cri, sinon la gorge et toute la magie d’exister aura passé dans une seule poitrine quand les temps se seront enfermés. Et cela sera tout près d’un grand cri d’une source de voix humaines, une seule et isolée voix humaine comme un guerrier qui n’aura plus d’armes. »
A. Artaud, Le Théâtre et son double
La création d’un texte contemporain vous met face à un sens à incarner et à éclairer ; seule cette voie peut être porteuse d’audace et se prêter au débat. La nouveauté d’une écriture (quelle qu’elle soit) vous jette dans un inconnu et vous oblige à inventer une nouvelle grammaire.
Dans chaque texte, la matière inspire différemment. Nous ne sommes plus alors devant un exercice de style, mais dans une création. On ne peut nier à Laurent Gaudé une très grande qualité d’écriture. Il propose indéniablement un langage d’une grande efficacité dramatique. En marge de vocables qui ont une valeur d’exorcisme, ou à travers eux, Laurent Gaudé déploie par le verbe la beauté issue de la laideur des êtres et de la misère des rapports humains.
Je crois que célébrer la mémoire de l’esclavage, c’est célébrer une partie importante de l’histoire. Dans ce genre de travail, il n’est pas possible, ni même souhaitable, de mettre le facteur personnel entièrement entre parenthèses. Il faut inévitablement faire la part de la subjectivité. La vie théâtrale est faite de rapports sans cesse renouvelés qui engagent l’être entier, rapports des créateurs entre eux et de ceux-ci avec les spectateurs. On ne peut donc tendre à l’objectivité, et encore doit-on distinguer entre celle qu’on s’impose dans l’analyse, et celle qu’on s’efforce d’atteindre lorsqu’on formule un jugement de valeur. Il est possible qu’une telle envie explique justement les intentions de la mise en scène de notre spectacle.
Laurent Gaudé appuie sans cesse sur le côté théâtral. Si son poème est à ce point séduisant pour un travail approfondi de mise en scène et d’interprétation, c’est en grande partie parce qu’il offre dans chaque acte de multiples motifs de jeu. À une époque où l’on rejette le théâtre littéraire, où l’on préfère se passer des auteurs pour créer des spectacles où l’action reprend le pas sur le mot, Laurent Gaudé a su retrouver une formule qui nous met face à l’obligation constante de faire du théâtre. Le Chant des sept tours est le croisement entre le poème et la musique. La création n’est pas qu’un simple montage d’extraits mais un hommage au génie créatif de l’Homme, aux grands esprits de tous temps. Dans la procession solennelle de la musique, dans la présence vive du comédien, dans la magie des lumières, nous aspirons à rencontrer l’incroyable et l’unique talent d’auteur de Laurent Gaudé.

© Crédits photos Lionel Moogin

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